Presse La Vie Les Essentiels Interview de Xavier Accart
La présence de Dieu était massive.
La silhouette du médecin se détachait sur les murs jaunes délavés de la clinique. J’étais épuisée. Il a pris l’enfant qui venait de naître et l’a posé sur mon ventre. Deux petits yeux me regardaient. Mon émotion n’était comparable à rien. Une émotion cosmique. Ce n’était pas moi qui avais fait cet être, mais la main du créateur dans mon ventre. Je n’en revenais pas. La nuit durant, je suis restée à le contempler dans son berceau. La présence de Dieu était massive.
Dieu était un ancrage par-delà ces différences
Ma mère était protestante. En épousant mon père, elle a pris l’engagement de nous élever dans la foi catholique et a tenu fidèlement parole. Cette double culture religieuse, ainsi que mes origines multiples – italienne, hollandaise, anglaise –, m’ont donné le sentiment de n’être jamais tout à fait chez moi. Je me sens comme une saltimbanque. C’est très riche, mais j’envie parfois ceux qui savent d’où ils sont. Dieu était un ancrage par-delà ces différences. Il comptait beaucoup pour moi enfant. « Si je t’oublie un jour, il faudra que tu vienne me rechercher », lui ai-je demandé. Il l’a fait des années plus tard, par la maternité.
Le Klezmer: des petites mélodies qui parlaient directement à l’âme
La musique a été une façon de m’exprimer. Par le piano d’abord, puis la clarinette. J’ai commencé une carrière de concertiste au Mexique où mon mari travaillait. Notre ensemble allait sur les places de villages jouer des symphonies de Schubert devant un auditoire vierge. Puis je suis rentrée en France et me suis mise au violoncelle. Un jour, un jeune polonais qui gardait nos enfants m’a ramené une cassette de son pays. Un soliste jouait de la clarinette d’une façon qui ne ressemblait à rien de connu. C’étaient de petites mélodies qui parlaient directement à l’âme dont elles exprimaient à merveille les émotions. La clarinette pleurait, riait, racontait des histoires. J’étais si fascinée que j’ai commencé à prendre les mélodies en dictée. Un disquaire m’a appris qu’il s’agissait du Klezmer, une musique juive d’Europe centrale.
Qui mieux que les Juifs pourraient donc nous apprendre ce qu’est l’Avent?
J’ai cherché à comprendre pourquoi elle me bouleversait. Je me suis mise à explorer la tradition hassidique, une culture populaire d’Europe centrale à laquelle cette musique était liée. Le judaïsme m’a passionné et me passionne toujours. Dieu est perçu de façon paradoxale, à la fois tellement transcendant qu’on ne peut en prononcer le nom et si proche qu’il connaît le moindre mouvement de notre coeur avant même qu’il ne se soit exprimé verbalement (ps. 139). Le judaïsme c’est aussi une liberté folle de questionnement de la Bible hébraïque. Un texte complexe, pétri de traditions multiples, mais qui témoigne, dans ses apparentes contradictions, d’une ardente attente du Messie vieille de plus de 4000 ans. Avec cette conviction que sa venue sera hâtée ou retardée selon le comportement du peuple élu. Qui mieux que les Juifs pourraient donc nous apprendre ce qu’est l’Avent?
La prière des psaumes est devenue pour moi vitale
L’aspect narratif des mélodies Klezmer m’a donné l’idée de les associer aux contes par lesquels s’expriment la sagesse hassidique. Je lis un passage et le raconte ensuite avec ma clarinette. L’acuité avec laquelle cette musique exprime les mouvements de l’âme m’a également conduit à la marier avec les psaumes, ces prières qui intègrent toute la gamme des émotions de l’homme pour l’unir à son créateur. La musique de leur langue originelle m’apparaissait si importante que j’ai cherché à les apprendre en hébreu. Et j’ai timidement réalisé mes propres traductions après avoir confrontées celles déjà existantes. La prière des psaumes est devenue pour moi vitale depuis le décès d’un de mes enfants. Chaque matin, je la mêle à ma pratique de la musique musique Klezmer. La clarinette me permet d’aller chercher ses émotions des profondeurs que les mots ne pourraient rendre. Et de les crier dans ces larmes dont je préserve ma famille. Et la vie resurgit en dépit de la présence terrible de l’abîme.
C’est le détour par le judaïsme qui m’a révélé l’inouï de ma foi chrétienne
Un conte hassidique évoque mon aventure avec le judaïsme. Un homme voit en rêve un trésor caché sous un pont dans un pays lointain. Arrivé sur place, un soldat en faction l’arrête. L’homme lui dit honnêtement la raison de sa venue. Le soldat lui raconte qu’il rêve également quotidiennement d’un trésor dissimulé dans un four. L’homme reconnaît ce four comme étant le sien. Il revient dans son pays et découvre enfin le trésor caché au plus intime de sa maison. C’est le détour par le judaïsme qui m’a révélé l’inouï de ma foi chrétienne. Jésus réunit bien tous les traits du Messie attendu. Mais ce qui est inacceptable aux yeux des Juifs, c’est qu’il soit Dieu. Cette idée m’apparaissait presque ordinaire tant je l’avais entendue depuis l’enfance. Aujourd’hui, j’ai conscience comme le mystère de la crèche est décoiffant. Dieu s’est totalement donné pour nous dans cet enfant et continue à se donner dans l’eucharistie. Le reste dépend de nous, de l’accueil que nous réservons à ce salut une fois pour toutes offert.