Portrait. Page 20. Par LAURE SALAMON
Aux sources de sa foi
Cette clarinettiste met en spectacle et en prières les psaumes et contribue au dialogue interreligieux.
Dans une impasse entre Viroflay et Versailles, dans les Yvelines, près de Paris, Rose Bacot nous accueille dans sa charmante maison.
Le feu crépite dans la cheminée. Le chat ronronne sur le fauteuil. Sa maîtresse le chasse pour s’y installer. Proche de ses livres et de ses instruments, la musi- cienne raconte sa passion, son travail.
Au fil du récit, elle attrape sa clarinette et joue. Parfois, quand les mots lui manquent, elle préfère laisser son instrument s’exprimer. Dans ses spectacles, elle récite des psaumes en français, en hébreu et en musique klezmer. Cette musique des juifs ashkénazes, d’Europe centrale et de l’Est qu’elle joue avec une clarinette basse, plus grave et plus grande que l’instrument classique.
Pour présenter un psaume, Rose Bacot va travailler le texte. À partir de multiples traductions (Segond, TOB, Français courant, Chouraqui, Vulgate…), elle choisit ses mots, puis la musique, revient au texte, ajuste la musique. « Cela peut prendre entre sept et huit mois », explique-t-elle.
Pris en dictée et par cœur
Rien ne prédestinait cette musicienne de cinquante-sept ans à ce travail. Née d’un couple mixte – mère protestante et père catholique –, Rose Bacot ne se définit pas comme l’un ou l’autre, mais plutôt comme chrétienne. Sa rencontre avec la musique klezmer va faire évoluer son œuvre.
« Après mon baccalauréat, j’ai étudié la musique, obtenu une licence de musi- cologie puis je suis devenue professeur de clarinette, à Chaville, à Saint-Cloud. Avec mon mari, nous sommes partis vivre au Mexique. J’ai ensuite commencé le violoncelle, pendant dix ans. Je n’arri- vais pas à m’exprimer avec cet instru- ment. Je me suis remise à la clarinette. Nous sommes repartis vivre à l’étranger, en Argentine pendant trois ans et demi, avec nos quatre enfants. Puis, de retour en France, notre jeune homme au pair polonais m’avait rapporté une cassette de musique klezmer. Elle m’a touchée. J’ai écouté, pris en dictée, appris par cœur avec l’enregistrement. »
La musicienne, qui avait traversé des périodes de doute avec son instrument, l’a redécouvert, différent de celui de ses débuts. « J’ai réappris mon instrument.
Dernière Page de Réforme 14 Novembre 2014Rose Bacot
a travaillé
45 psaumes qu’elle peut réciter et jouer
J’ai abordé le répertoire klezmer autre- ment que le veut la tradition, car les femmes ne jouent pas normalement. Je voulais rester libre pour transformer la clarinette en voix. »
Rose Bacot propose des contes, des animations musicales, des spectacles plus spirituels, d’autres plus culturels, dans lesquels elle jongle avec les mots et les notes de musique. « Je propose d’entrer dans le monde de la foi et dans celui de la musique, peu importe par où les gens franchissent le seuil. » Elle se produit dans des écoles juives, des festivals de musique et de contes, des lieux culturels comme des bibliothèques municipales ou cultuels comme des églises, des temples ou des synagogues…
«Il ne peut pas y avoir un Dieu fade, ennuyeux, culpabilisant. Pour moi, Dieu est un Dieu de vie, de joie et de compassion »
Elle a choisi les psaumes, car ils l’émeuvent. « Les psaumes et la musique klezmer sont entrés dans ma vie et sont devenus ma prière. Les textes ne trichent pas, le psalmiste met une telle confiance, il se laisse voir par Dieu. Cette authenti- cité a été libératrice pour moi, à mon tour de me laisser voir par Dieu comme je suis. Je n’ai aucune prétention théologique. »
Son amie Liliane Apotheker apprécie son travail. « À ma connaissance, elle est la seule à le faire et cela vient visiblement d’un élan très intérieur. Il faut ajouter la force de sa propre spiritualité, sa capacité de travail et son obstination, car ce qu’elle a fait est très difficile. »
Un événement tragique est venu renforcer sa démarche. En 2005, alors qu’elle travaille sur le psaume 23, son fils cadet, Félix, lui donne un conseil pour rendre la musique plus gaie. « Il m’a dit cela, c’était enfantin et tellement spontané. Trois jours après, la police venait nous annoncer son décès. J’ai attrapé ces psaumes comme une bouée de sauvetage qu’il me laissait. Peut-être est-ce une construction de ma part, je n’ai pas l’ambition d’être objective. Neuf ans après sa mort, les psaumes continuent de me soutenir. Une mère qui perd son enfant n’a pas d’espace pour hurler, pour crier sa douleur. La théologienne suisse Lytta Basset racontait dans un de ses livres qu’elle hurlait dans sa voiture après la mort de son fils. Moi, je hurle dans ma clarinette. Nous avons perdu toutes les deux nos fils à cause de la drogue. Ses ouvrages m’ont beaucoup aidée. »
Elle aime rire et danser
La musicienne reconnaît que, malgré cet événement, elle aime la vie, elle aime rire et danser. « Je traduis aussi cette joie dans les psaumes. Dans le psaume 30, “Tu m’as relevé, Seigneur, tu as changé mon deuil en danse.” Il ne peut pas y avoir un Dieu fade, ennuyeux, culpabilisant. Pour moi, Dieu est un Dieu de vie, de joie et de compassion. Je suis dans mes spectacles en prière, comme je le suis chez moi toute seule. Je suis en profonde communion avec Lui et… avec l’assemblée. C’est paradoxal, mais je le sens à la qualité du silence. Ce n’est pas forcément explicable. »
Yves Périllon, conseiller presbytéral de l’Église protestante unie de Versailles, en charge des concerts, témoigne de l’intensité de sa foi, de son expression. « Quand elle récite les psaumes, la clarinette vient compléter le dialogue. Elle regarde le texte d’une manière très protestante et ouverte, c’est très œcuménique », confie-t-il.
Interreligieux, même, complète son amie Liliane Apotheker qui est aussi vice-présidente de l’International Council of Christians and Jews, le conseil international des chrétiens et des juifs qui regroupe près de quarante groupes d’Amitié judéo-chrétienne dans le monde.
« Ces psaumes, juifs et chrétiens, nous les avons intégrés à notre liturgie, mais quand nous les disons, sommes-nous pénétrés de ce dialogue insensé d’un homme ou d’une femme avec Dieu, lui adressant à la fois des reproches et des louanges, le mettant en demeure de nous répondre ? C’est cela que Rose restitue par son travail. Sa démarche est faite d’amour et de respect. On peut même y voir comme une exemplarité pour le dia- logue judéo-chrétien. Par son travail, elle fait découvrir la richesse de la musique juive et la beauté rocailleuse de la langue hébraïque à un public large. »
La richesse du judaïsme
Même si sa démarche n’est pas toujours bien perçue dans certains milieux moins ouverts, notamment par rapport aux textes, Rose Bacot se défend de mettre en perspective les approches.
« Quand on découvre les richesses du judaïsme, on ne peut qu’approfondir sa foi de chrétien. C’est comme un tableau que l’on voit en deux dimensions. Lorsqu’on étudie le judaïsme, le tableau apparaît en 3D. C’est le même objet, mais on a la raison d’être, la profondeur. »
Pour aller plus loin, elle a commencé à étudier l’hébreu. « Je suis en deuxième année, à la synagogue Victoire à Paris. J’en ai jusqu’à la fin de ma vie avec cette étude, mais je m’amuse, c’est tellement passionnant. À travers une langue, on entre dans la façon de fonctionner du peuple qui la parle. Lorsque je raconte un conte, je présente aussi un personnage qui va devenir un ami. Et ces temps-ci, on a besoin de mieux se comprendre, de se rassembler, de trouver ce qui nous réunit plus que ce qui nous divise. » Elle le fait en musique.