Presse: Portrait ECA
Portrait de Rose Bacot Juillet 2017 Virginie Leray (Enseignement catholique actualités)
Harmoniques intérieures
La Bible comme une partition
Sa clarinette rit, pleure, gronde ou s’amuse. Elle s’en empare au détour d’une phrase pour préciser une émotion, traduire l’indicible ou rendre plus fidèlement un souvenir. Il faut dire que la musicienne Rose Bacot reçoit, dans son cabinet de travail, une longue chambre aménagée en bureau. La fenêtre ouverte donne sur le jardin d’une grande demeure, cachée dans une impasse verdoyante de Viroflay, dans les Yvelines. Des photos de famille avec ses six enfants dont la benjamine fête ses 18 ans, tapissent l’un des murs. Au centre de la pièce trônent son pupitre et sa clarinette basse.
Détermination , Passion
Au moins trois heures par jour, elle y travaille avec une détermination et une passion renouvelées par la découverte, voilà une vingtaine d’année, de la musique juive d’Europe centrale, le klezmer. « C’est une musique qui prend aux tripes et parle au cœur. Irisée, elle déploie toute la palette des émotions, dans toutes leurs nuances, et les mélange souvent. Je m’y retrouve comme dans un miroir, moi qui n’ai jamais connu de joie sans mélange ni de douleur telle qu’elle ne laisse plus rien de positif pouvoir advenir… »
Une musique qui nourrit
Une musique viscérale et existentielle qui nourrit « la rage de vivre » que Julia, une jeune amie, ancienne élève de clarinette de Rose Bacot, perçoit chez elle : « Cette force, ce côté battant m’est apparu notamment lorsque je l’ai accompagnée en 2009, au festival d’Avignon. Elle jouait la journée dans les rues pour attirer du monde à la représentation du soir. Durant ce marathon, elle a fait preuve d’une endurance et d’une générosité que l’on retrouve dans ses concerts : elle se donne, s’expose, transporte. C’est aussi sa valeur ajoutée comme professeur, de se soucier autant de l’émotion que véhicule le son que du respect formel de la partition. »
La rigueur de l’instrumentiste, de formation classique, comme ses valeurs chrétiennes, solidement ancrées, s’accommodent en effet très bien de l’imprévu et de l’inconnu. Son père, interprète anglo-russe et sa mère, traductrice d’anglais ne s’étonnent donc pas de son choix de s’aventurer dans une carrière musicale.
Itinéraire
Après des débuts décevants comme enseignante de musique à Blanche de Castille, Rose Bacot enseignera dans les conservatoires de Chaville, Rueil, Saint-Cloud : « Le milieu scolaire ne me convenait pas : Je suis vite tombée en dépression à force de voir ces ados se défouler dans mes cours et d’entendre leurs parents s’étonner de ce qu’ils ne puissent même plus se détendre en musique ! » Ce peu de considération pour les arts, (comme le manque de créativité des cérémonies religieuses) la contrarient toujours autant, alors qu’elle estime que « l’expérience sensible complète idéalement une approche trop exclusivement intellectualisante des savoirs ou de la foi ».
L’expérience de l’ailleurs
Après une jeunesse versaillaise plutôt casanière, Rose Bacot fait aussi l’expérience de l’ailleurs. À 24 ans, elle suit son mari, ingénieur chez France télécom, en coopération au Mexique, moins d’un an après la naissance de leur fils aîné. Elle garde un souvenir exaltant de sa participation là-bas à un orchestre symphonique à vocation sociale, avec lequel elle allait jouer du Schubert dans des prisons ou des villages reculés, dans des conditions parfois improbables. C’est avec une curiosité et un enthousiasme intacts que la famille, agrandie à quatre enfants, repart en Argentine dix ans plus tard pour quatre années.
le Klezmer
L’adaptation sera finalement plus difficile dans le sens du retour, lorsque le quotidien retrouvé se teinte d’une certaine « sensation d’étrangeté et de solitude ». C’est alors, en 1995, qu’un jeune homme au pair Polonais lui fait découvrir le Klezmer.
« J’étais comme une poule qui a trouvé un couteau ! Ces mélodies s’accordaient aussi bien à la clarinette qu’à la poésie des psaumes, autant de cris d’humanité, de colère, de joie, de peur, d’amour, lancés vers le ciel… », se souvient Rose Bacot montrant les cahiers dans lesquels elle a l’époque fiévreusement traduit ces mélodies en partition.
Une musique qui interpelle, supplie et loue un Dieu qui comme celui du psaume 30 « transforme le deuil en danse ».
Quelques années de pratique plus tard, elle sollicite l’avis de Louis Fima, ami juif avec qui elle a fait ses classes au conservatoire de Versailles, devenu professeur d’alto au CNSM de La Villette, et qui l’encourage à persévérer: « L’intensité de sa prestation m’a bouleversé, presque sidéré. J’ai aussi été surpris qu’une catholique, qui a toujours été très proche de sa foi, puisse s’intéresser à la mise en musique klezmer de psaumes. Cela correspond pourtant bien à sa qualité d’écoute, sa capacité à ne pas se prendre au sérieux et à accepter les prises de risques… Je garde par exemple le souvenir très réjouissant de l’intrépide virée qu’elle nous avait offerte, au conservatoire, pour fêter l’obtention de son permis : Elle nous avait embarqué à six pour une ballade dans sa 2CV et s’était élancée sur la place de l’Étoile, en pilant tous les cinq mètres et en invectivant tout le monde ! »
Le chemin de l’interreligieux
La musique psalmiste engage Rose Bacot sur le chemin de l’interreligieux : « en découvrant la culture des juifs, nos aînés dans la foi, j’ai approfondi la mienne. J’apprécie particulièrement la justesse de leur rapport à Dieu, empreint d’un respect qui leur interdit de le nommer mais aussi d’une proximité qui les autorise à littéralement l’engueuler…» Or, depuis 2005 et « l’accident ? le suicide ? » son fils cadet, Félix 23 ans, Rose Bacot, adresse aussi régulièrement sa colère à Dieu.
Le klezmer et notamment la joie d’un certain glissando à la fin du psaume 23 lui ont servi de bouée de sauvetage. C’est le cannabis qui a révélé chez Félix une fragilité latente… et l’a rendue insurmontable. Après trois années à le porter à bout de bras au dessus du gouffre entre les hospitalisations, la mère courage s’en remet à l’association du jésuite breton, le Père Jaouen, « Le bel Espoir » association qui sort les jeunes de la galère via l’apprentissage des métiers de la mer et de la navigation. En vain.
« Si j’en avais eu la force j’aurais participé à des groupes de soutien
aux parents d’enfants victimes de la drogue qui se trouvent face
à un désert de solution,
sans alternative à la violence de l’internement. »
Rose Bacot, parvient à ne pas sombrer dans un repli mortifère pour redonner l’élan de vie à sa famille meurtrie. Elle reprend aussi rapidement les concerts. Récemment, elle eu le plaisir de jouer en duo avec son fils aîné Martin, architecte en chef des monuments historiques, et organiste à Lyon qui vient de lui donner, à 60 ans tout juste, le bonheur d’être grand-mère. Elle encourage la fibre artistique de Juliette, graphiste au coup de crayon affirmé et de Marjolaine qui se lance dans une reconversion en maître verrier autant qu’elle admire l’altruisme de Raphaël, en mission en Irak pour Terre des hommes et d’Hortense qui prépare les concours d’infirmière. Maintien de danseuse, sourire bienveillant et regard cristallin, Rose Bacot veille sur son petit monde et au-delà.
Eclats d’âme
Au dernier rassemblement des adjoints diocésains en pastorale, la clarinettiste Rose Bacot a donné un aperçu éloquent de la diversité de ses propositions qui allient le musical au spirituel : Ses psaumes joués et commentés invitent à entrer dans l’intensité d’un discours à trois voix –français, hébreu et clarinette klezmer. Ils peuvent nourrir des temps de prière ou de retraite, un séjour d’étude et de ressourcement, une réflexion sur la richesse de l’héritage juif comme un temps d’animation pastorale.
Diversité de ses propositions
Séminaristes, groupes scolaires ou jeune public en attente d’une entrée plus culturelle, la musicienne sait adapter ses prestations à tous les âges et toutes les attentes. Outre son répertoire d’une quarantaine de psaumes, d’autres passages de la Bible, de poésies ou de prières chrétiennes ou juive (le kaddish) elle propose des contes bibliques ou des récits inspirés de ceux d’Elie Wiesel ou de Bashevis Singer.
… et un atelier « s’approprier le texte des psaumes » où chacun réécrit ou retranscrit sa perception du psaume, en puisant dans son histoire singulière et sa sensibilité propre ?